Retraite : la dernière bombe
Le jeudi 18 juillet 2019, le haut-commissaire à la réforme des retraites, Jean-Paul DELEVOYE, s’est jeté à l’eau en présentant ses préconisations pour la future réforme des retraites révélant ainsi les grandes lignes du futur projet de loi. Focus sur ces mesures qui font déjà pas mal d’éclaboussures… #splash
Départ à 64 ans : âge d’équilibre
Actuellement un salarié ayant ses 43 annuités peut prendre sa retraite à 62 ans, âge légal de départ à la retraite, et bénéficier de sa pension de retraite à taux plein. Les salariés ne disposant pas de leurs annuités, car étant rentrés plus tard dans la vie active, ou ayant subi des carrières tronquées (période de chômage, maladie, maternité, service national…) sont contraints de travailler au-delà de leur 62 ans, voire de travailler jusqu’à 67 ans, âge à partir duquel la pension est versée à taux plein, s’ils ne veulent pas subir de décote.
Afin de rééquilibrer le régime des retraites, le rapport DELEVOYE préconise l’instauration d’un départ à l’âge dit d’équilibre, fixé à 64 ans. Il s’agit pour le rapporteur de l’âge à partir duquel l’ensemble des hommes et des femmes peuvent, économiquement et démographiquement, partir à la retraite sans fragiliser le régime. Ainsi, l’âge légal de départ à la retraite resterait fixé à 62 ans.
Toutefois avec ce nouveau système, le salarié qui aurait validé et cotisé ses trimestres, subirait une décote de 10% au total (5% par année jusqu’à l’âge d’équilibre). Un salarié qui ne voudrait pas subir de décote serait alors obligé d’attendre ses 64 ans avant de liquider ses droits à la retraite. Au-delà de l’âge d’équilibre et jusqu’à 66 ans, le système serait inversé puisque le salarié bénéficierait d’un bonus de 5% sur le montant de sa pension jusqu’à l’âge de 66 ans.
À NOTER
Fixé à 64 ans au départ, l’âge d’équilibre évoluera au fil du temps, en fonction de l’espérance de vie des Français.
Mise en place du régime universel
Conformément au souhait émis par le Président Emmanuel MACRON, lors de sa campagne électorale, le rapport préconise la fusion des 42 régimes existants pour n’en faire qu’un. Ce régime universel aurait plusieurs conséquences :
- fin des régimes spéciaux (EDF, SNCF, Banque de France, régime parlementaire…). L’âge de départ à la retraite et le mode de son mode de calcul seront les mêmes pour tous. Outre la recherche d’homogénéisation, l’absorption de certains régimes spéciaux permettra de rééquilibrer le régime général qui intègrerait ainsi certains régimes plutôt bénéficiaires tels que celui des avocats…
- modification du mode d’acquisition des points de retraite. Un point de retraite validé aura la même valeur (valeur qui sera fixée par décret en 2024), quels que soit le niveau de rémunération, le statut de l’actif (salarié, indépendant, cadre ou non-cadre) et son secteur d’activité. On parlera désormais d’une retraite à points plus que d’une retraite valorisée en trimestres. Enfin, si aujourd’hui il faut travailler plus de 150 heures pour générer des droits à points de retraite, demain en deçà de ce seuil, il serait possible de cumuler des points. Idem pour les périodes de chômage, maternité ou encore d’invalidité qui donnerait également droit à des points de retraite ; une aubaine pour les nombreux contrats courts et les carrières dites accidentées.
- homogénéisation du mode de calcul des pensions entre la fonction publique et le secteur privé. Aujourd’hui dans la fonction publique, ce sont les 6 derniers mois travaillés qui servent de base au calcul de la pension de retraite. Pour les autres personnes actives, sont retenues les 25 années les plus avantageuses. Demain, les pensions seront calculées de la même manière pour tous, à savoir sur la base des revenus perçus sur l’ensemble de la carrière. Afin d’atténuer les pertes, s’agissant des fonctionnaires, il est prévu de prendre en compte l’ensemble des primes versées en sus de leur salaire. Pour rappel, avec le nouveau système, les fonctionnaires ne pourront plus partir avant l’âge de 62 ans, ou 64 ans âge d’équilibre.
Coup de boost pour les familles et les veufs
Avec le système actuel, seules les mères de 3 enfants au moins peuvent prétendre à une réévaluation de leur pension de retraite à hauteur de 10%. Avec la retraite universelle, la réévaluation s’appliquerait à hauteur de 5% par enfant, et ce dès le 1er enfant. Cette réévaluation serait en outre répartie entre le père et la mère.
Les veuves et veufs bénéficieraient également d’un booster avec le nouveau système puisqu’ils percevraient désormais 70% du montant total des pensions du foyer en cas de décès du conjoint.
Exemple
Un couple de retraités perçoit une pension de 2 850 € : l’époux perçoit 2 000 € de retraite et sa femme 850 €. Au décès de monsieur, conformément au mode de calcul du système actuel, la veuve percevra une pension de réversion qui portera le montant total de sa retraite à 1 965 € par mois. En appliquant le nouveau système, la veuve percevra 1 995 € de retraite, soit 70% du montant total des pensions perçues avant le décès, représentant un gain de 30 € par mois (+ 360 € par an).
Ce système serait toutefois désavantageux pour les plus hauts revenus par rapport au mode de calcul actuel.
Des exceptions
Afin de répondre au mieux aux premières contestations émanant des syndicats, le rapporteur a prévu certains aménagements. Ainsi, ne seraient pas concernés par un départ à l’âge légal ou à l’âge d’équilibre, les salariés ayant eu un emploi dit pénible (chauffeurs de bus, travailleurs à la chaîne…) et/ou dangereux (policiers, militaires, gardiens de prison), ainsi que les carrières longues.
Des contestations naissantes
En dépit des exceptions concédées, certains points d’achoppements demeurent et les syndicats prévoient d’ores et déjà de mobiliser leur base. Les syndicats ont remporté une première victoire en obtenant la date prévisionnelle d’entrée en vigueur en 2025 au lieu de 2020. Ainsi les premières personnes concernées par la retraite universelle seraient les actifs nés après 1963.
Toutefois, les syndicats d’enseignants contestent le nouveau mode de calcul. En effet, avec un calcul réalisé sur l’ensemble de la carrière, ils s’estiment lésés et la prise en compte de leur prime n’y changera rien puisqu’ils en perçoivent moins que les autres salariés de la fonction publique. Les traitements perçus en début de carrière sont dérisoires comparés à ceux perçus en fin d’activité. En cause, un système d’indice qui évolue au ralenti.
Il est fort à parier que les syndicats à forte représentation de cadres leur emboiteront le pas, dénonçant un nouveau régime qui ne tend à avantager que les petits revenus. En effet, après la fusion des régimes ARRCO et AGIRC qui a vu disparaître le régime spécifique de retraite complémentaire des cadres, cette réforme serait un nouveau coup dur (cf. exemple ci-après).
Jean-Paul DELEVOYE, auteur du rapport, assume cependant cette posture estimant que certains hauts revenus pourront travailler plus longtemps du fait de leur carrière moins pénible que celle éprouvée par certains salariés percevant en outre, au moment de la retraite, une faible pension.
Les syndicats mobilisés au sein de la SNCF et de la RATP contestent, quant à eux, la fin de la généralisation des régimes spéciaux. En effet, avec le nouveau système, seul le métier sera éventuellement jugé comme étant pénible. Pour exemple, les conducteurs de bus continueraient à bénéficier d’un départ anticipé, mais cela ne sera plus le cas d’un guichetier bien que travaillant au sein de la même entreprise. Les syndicats attendent donc de pied ferme les critères de détermination qui seront définis par le Gouvernement quant à la notion de pénibilité d’un poste.
Autre catégorie de personnes susceptibles, à notre sens, de rejoindre la contestation : les jeunes. En effet, l’âge légal reste fixé à 62 ans, quand l’âge d’équilibre fixé à 64 ans en 2025 tend à évoluer avec l’espérance de vie. Selon les estimations du rapport de Jean-Paul DELEVOYE, l’âge d’équilibre serait égal à 65 ans et 5 mois environ pour la génération 1980 et à 66 ans et 3 mois pour la génération 1990. À cet horizon, ceux qui souhaiteront partir à la retraite dès 62 ans, soit quatre ans avant l’âge d’équilibre, se verraient appliquer un malus non plus de 10 % mais de 20 %. Une difficulté supplémentaire pour les jeunes faisant le choix de longues études et entrant donc plus tard dans la vie active. Enfin, l’un des derniers arguments avancés est celui visant l’âge d’équilibre. Le système de décote ou de bonus/malus contraint la plupart des salariés à travailler jusqu’à 64 ans alors même qu’aucune mesure n’a été mise en place afin d’inciter davantage les entreprises à employer les séniors, qui sont souvent touchés de plein fouet par le chômage, après un plan social, car ne parvenant pas à retrouver du travail.
Pour Jean Paul DELEVOYE, les salariés restent libres de partir à 62 ans et l’âge du départ à la retraite n’a donc pas été modifié. Bien au contraire, il rappelle que l’âge permettant de partir sans décote a été abaissé d’une année, puisque les salariés n’auront plus à attendre leurs 67 printemps. Partir à 62 ans, c’est faire un choix. Rester jusqu’à 64 ans ou au-delà en est un autre. C’est un choix de société, de niveau de pension que chacun devra « assumer » comme lui assume ses préconisations.
Pour plus d’infos : retrouvez l’article traitant de l’impact de cette réforme sur l’avocat, profession libérale, en cliquant ici.